samedi 10 décembre 2011

In memoriam - mon hommage à Mona Di Orio

Mona photographiée par son frère pour le parfum Amyitis

J'ai rencontré Mona en juin 2007 à Nice, à la Part des Anges.

Sa marque était déjà sur le marché et je ne connaissais d'elle que certains articles de magazine et publications sur internet.

Je me souviens de son allure ce jour là, petit tablier et bottes en caoutchouc.

Elle m'invita chez elle dans le vieux Nice, me parla de son parcours atypique, de sa relation sensuelle avec le parfum, de son art avec son « Maître » Edmond Roudnitska qui lui enseigna le plus précieux des savoirs : suivre son instinct.

Elle me présenta ces 3 premiers parfums : Lux, Carnation et Nuit Noire.

Et là, l'inattendu.
J'ai oublié l'espace d'un instant tout ce que j'avais appris en parfumerie. Ses parfums étaient...différents. Familiers et inédits à la fois, d’un autre temps, sans aucun équivalent.
Elle m’a ensuite montré les articles sur ses parfums dans les magazines. Comme une enfant enthousiaste, sa joie était effervescente et communicative.
En partant, sourire aux lèvres, je venais de vivre ce qu'on appelle une "belle rencontre".
Après d'autres rendez-vous autour d'un café, je lui demande en décembre si elle veut bien m'aider à préparer le concours du jeune parfumeur de la SFP. Elle est flattée de cette demande et accepte humblement de me donner quelques "tuyaux".
Je faisais les allers-retours entre Grasse et Nice pour lui montrer l'évolution du parfum.
Nos rendez-vous se sont faits de plus en plus nombreux et suivis.
Je compris vite que Mona vivait sa parfumerie et que c’était cette parfumerie là qui me faisait vibrer aussi.

Artiste de grand talent. Une Femme admirable, fascinante et tellement attachante.

A l'époque j'étais loin de me douter que nous allions vivre une belle amitié, sincère, inestimable et passionnée.

Je vivais par ses yeux l’évolution de sa marque, son accueil auprès des boutiques, des clients, de la presse.
Elle repensait sa gamme, créait 3 bougies et imaginait déja les Nombres d'Or.

Cette belle aventure audacieuse et osée.
Une femme parfumeur talentueuse, charismatique et indépendante ça fait jazzer dans le petit monde de la parfumerie.
Les critiques, elle s’en moque.
Les jaloux ? Elle les mange.

J’ai énormément appris avec elle; sa vision du parfum en tant qu’Artiste et non pas en tant que technicienne.
Elle domptait toutes les matières premières (les naturelles étaient bien évidemment ses préférées). Elle savait les comprendre, les exalter, les habiller, les suspendre entre deux synthétiques. Des absolus en overdose, des résines, des concrètes savamment dosées, des essences rares et des simples molécules de synthèse, Mona leur donnait un nouveau sens.
Ces parfums parlaient pour elle; ils parlaient d’elle.
Il y’avait en chacun d’eux la « patte » Mona ; sa signature.
Pas de chichis,  « pas de redondance me disait-elle, allons à l’essentiel ».
Des formules "à l'ancienne", courtes et sobres, qu’elle travaillait indéfiniment en griffonnant son cahier jusqu'à obtenir l’accord final qui serait son ultime essai.
Celui qui s’imposerait naturellement et qui épouserait la peau.
L’essence de Vétiver Bourbon est, de loin, sa matière fétiche. Sa signature en quelque sorte. Il n’y a pas une seule de ses créations qui n’en contiennent (même en trace).
« Avec Les Nombres d’Or-Vétyver, je vais me régaler, me faire plaisir ! » me dit-elle lors de la conception du jus. Du vétiver Bourbon, du vétiverol, du cashmeran, quelques bois secs, une exquise qualité de gingembre et une pointe de * qui change tout…
La QUA-LI-TÉ c’est toute la différence. Pas de compromis, pas de limite de budget, pas de substitut bon marché. Un seul objectif : un parfum beau avec une âme belle.
Mona ne transigeait pas.
Nous parlions le même langage. Nos rendez-vous, le jeudi dans le Vieux Nice, étaient «hors du monde », magiques, en apesanteur pour notre seul maitre : le PARFUM.
Elle était enthousiaste et curieuse de sentir mes essais me disant que la maturité en parfumerie se travaille pendant 10 ans et que l’on continue d’apprendre, chaque jour. (Je lui ai souvent fait sentir des horreurs qu’elle trouvait… « oh, c’est… intéressant, original... »). 
Pendant ces 4 dernières années, elle me faisait découvrir ses créations et attendait un peu inquiète ma réaction, mes commentaires. Je le lisais dans ses yeux.  A tour de rôle élève et professeur, complices, nous échangions nos idées sur les nouvelles matières premières, les parfums du marché, la niche, les uns, les autres…
Je suis infiniment flatté et honoré de sa confiance, de nos échanges.
Je les garderai à jamais, faisant partie de moi.
Elle était mon repère, ma valeur sûre, ma référence.
Hier, son souffle s'est envolé.

Je me sens orphelin.
Elle était ma grande amie Mona.

Toutes mes pensées vont vers ses parents, son frère, ses proches, son associé, ses amis et tous ceux qui ont croisé son chemin et qui sont tombés sous son charme.

Nota:
Aux parents et à la famille de Mona.
Suite à votre demande lors de notre rencontre hier à Zorgvlied vous pouvez bien évidemment diffuser ce memoriam.
Il est à vous.

Avec toute mon affection.
Alexandre
(Hambourg, le 17 décembre)